vendredi 23 février 2007

JR, impitoyable

On a apprécié dans l’essai de Jean-Robert Pitte, président de Paris IV, (« Jeunes, on vous ment ! », Fayard, 2006), ces quelques lignes sur les classes préparatoires :
« Les élèves de classes préparatoires aux grandes écoles n’ont de contact qu’avec des manuels rédigés à leur intention. Leur talent, comme celui de leurs maîtres, est tourné vers la rapidité de l’assimilation des connaissances, la pertinence et la clarté de leur restitution dans le cadre de dissertations ou d’oraux préparés en temps limité, l’art de faire des plans, une expression écrite et orale soignée. On ne saurait nier que beaucoup d’entre eux ont énormément lu, qu’ils jouissent souvent d’une bonne culture scientifique et littéraire, parfois même artistique, quelle que soit l’issue des concours qu’ils préparent, et qu’ils ont acquis une grosse capacité de travail méthodique. Mais la masse de connaissances à digérer pendant les deux ou trois années de classes préparatoires est telle que ces jeunes gens courageux manquent parfois un peu de créativité, handicap qui n’est nullement définitif, bien entendu. Un certain nombre perdent même toute envie de continuer à donner le meilleur d’eux-mêmes, une fois l’agrégation acquise, la thèse en poche et un poste de maître de conférences obtenu. On le comprend, mais quelle pitié !
Qu’on ne juge pas ces propos comme une remise en cause de l’existence des classes préparatoires et des grandes écoles. Ce serait suicidaire pour notre pays. Il faudrait simplement reconnaître que les universités dont les enseignants sont tous, par statut, également des chercheurs pourraient énormément apporter à la formation des futurs cadres supérieurs. La recherche scientifique rigoureuse apporte à un professeur le culte de l’innovation, du résultat durement établi, mais aussi du questionnement fécond, du problème non résolu. L’étudiant, y compris débutant, qui saisit la portée de cette démarche apprend à rassembler toutes ses potentialités intellectuelles et à se projeter dans l’avenir avec ardeur et modestie, à la fois. C’est donc un immense gâchis que d’avoir séparé à ce point les CGPE et les universités et de permettre seulement à ces dernières de récupérer les « collés » aux concours, nouvelle manière de les considérer comme des voitures-balais, même si elles sont enchantées d’accueillir en troisième année de licence de nouveaux étudiants de qualité. »

Précisons cependant que, dans le cas de Paris-Dauphine, les étudiants recrutés en 1ère année ne sont pas des « collés » des concours, mais des « arbitragistes » qui ont exprimé une préférence.
On a moins aimé un certain conservatisme, sinon un conservatisme certain. Le président Pitte fustige les regroupements et alliances d’universités. Il donne le sentiment qu’il suffirait à l’université Paris IV (dites « Paris-Sorbonne ») de s’adosser à son histoire pluri-séculaire pour affronter les défis de l’environnement universitaire changeant. Le livre est par ailleurs franchement orienté vers une politique de « numerus clausus » (sic), plus que d’orientation des étudiants et de rénovation des filières. Disons que la modernisation de l’université façon JR ressemble fort au culte des origines.
(On retiendra au passage l’adresse d’une très bonne boucherie, rue Monge, à l’enseigne de Monsieur Serge Perraud… hommage de l’auteur à l’artisanat de qualité...)